Evgeniy Pavlov, Les séries d’archives, 1985, 1988
Des photographes amateurs dans l’Union Soviétique qui pouvaient parfois ignorer des commissions officiels et des ordres de la Partie, manifestaient souvent leur subjectivité comme certains types de l’homme soviétique. Dans quelque sens, l’histoire de la subjectivité de la Photographie de Kharkiv est une histoire de la construction de leur propre image et celle de ses contemporains, l’histoire de leur participation consciente dans la création des histoires de vie individuelles.
Juri Rupin, le 7 Novembre, 1985
La photographie soviétique officielle avait des règles claires sur l'expression, le sujet à présenter et la qualité des photos, mais la République ukrainienne soviétique avait également une censure particulièrement stricte.
Evgeniy Pavlov, Les Superpositions, 1974
Les amateurs, qui ne gagnaient pas leur vie avec de la photographie, se concentraient sur le monde des villes soviétiques, la vie quotidienne des gens et les expériences esthétiques. Tout ce que personne n'aurait pas payé en URSS, une sorte de "rejet" visuel.
Igor Manko, Un motif de ville avec des nuages, 1986
Cette focalisation sur la photographie de club menait aux débats sur la photographie en tant que forme d'art, plutôt qu'au discours sur la photographie de rue ou documentaire.
Alexandr Suprun, Une balançoire, 1976
Les photographes amateurs soviétiques utilisaient souvent la superposition de diapositives, le montage et le collage, expérimentaient avec de la couleur et des processus chimiques comme la postérisation ou la tonification. Ces techniques devaient révéler le regard subjectif de l'auteur.
Roman Pyatkovka, Les jeux de la Libido, 1995
La photographie amateur pouvait éviter l'esthétique socialiste réaliste. Les photographes qui voulaient créer des photos d'art essayaient de séparer l’art et la qualité. Ils créaient souvent des œuvres en ignorant la notion même de la qualité.
Evgeniy Pavlov, Un Violon, 1972
La subjectivité de la photographie réside dans sa nature individuelle ou artistique, qui est l'antithèse du documentaire; "expression subjective" implique un monde de rêve et de fantaisie qui se trouve en dehors de la vision objective de la photographie documentaire.
Evgeniy Pavlov, Un Violon, 1972
La pratique du "coup" photographique dans la photographie de Kharkiv était souvent compris comme un effet immédiat d’un coup, surprenant le spectateur et renforçant l'effet de l'image.
Roman Pyatkovka, La Maternité, 1989
Leurs discussions sur l'art visuel ont produit de nouvelles techniques et approches esthétiques, y compris l'idée que la photographie devrait déranger, choquer ou "frapper" le spectateur; une photographie ne pouvait pas fonctionner de la même manière qu'un tableau. Même si dans les deux cas l’image est bidimensionnelle, l'impact est forcément différent.
Juri Rupin, L’Harmaguédon, 1984
Au sens le plus large, le montage ou le collage supposent que le monde avait été découpé en fragments visuels et réarrangé dans un différent ordre. Non seulement ce « remake » est visible pour le spectateur ou l'auditeur, mais il devient un élément constitutif de l'œuvre d'art.
Oleg Malevany, Où?, 1978
La mimésis, en tant que la représentation de la réalité, implique la dissection de toute unité visuelle "figée" en fragments, et le montage est une méthode compositionnelle pour restructurer cette fragmentation. On peut décrire le montage comme une nouvelle forme de mimésis, une recréation de l'idée de la représentation imitative. Il révèle le sens "vrai" (c'est-à-dire caché) des choses, plutôt que leurs caractéristiques externes.
Oleg Malevany, L’escalier, 1973
En superposant deux images différentes, les photographes ont créé une œuvre à multiples facettes, repoussant les limites de la photographie et transformant la photo en objet d'art. Le collage a révélé l’envie de transformer l'essence mimétique de la photographie et de surmonter ses limites esthétiques techniques.
Oleg Malevany, L’amour en 2000, 1978
Le montage d'images est souvent logiquement paradoxal et esthétiquement grotesque à la fin. Il peut fusionner des images liées à l'expérience émotionnelle ou psychologique avec la vie intérieure d’une personne.
Juri Rupin, Un portrait horrible d’une femme, 1970s
Dans le cadre de la mimésis conventionnelle, les descriptions des mondes extérieur et intérieur sont organisées de manière très différente. Historiquement, au cours du développement de l'art, cette dichotomie devient moins nette, mais la période moderniste est surtout caractérisée par la représentation de l'expérience intérieure avec des images du monde extérieur. Cette technique esthétique est souvent utilisée dans la photographie de Kharkiv.
Sergei Solonsky, Le Bestiaire, 1991—1998
Le montage et le collage, qui distinguent la photographie de Kharkiv, permettaient de non seulement voir un soviétique sous des angles ignorés par la photographie officielle, mais permettaient aux photographes de découvrir leur propre subjectivité.
Sergei Solonsky, Le Bestiaire, 1991—1998
En tant qu'êtres humains, nous sommes soumis au regard du gouvernement, de la culture et d'autres personnes — des créatures à observer dans le théâtre du monde qui nous entoure!
Evgeniy Pavlov, Les séries d’archive, 1985, 1988
La subjectivité soviétique n'était pas une "objectivité historique" mais plutôt une sorte de prothèse, un membre artificiel qui aidait les gens à affronter la réalité.
Sergey Solonsky, Le Bestiaire, 1991—1998
Dans la photographie, la personne représentée se percevra dans deux champs opposés: je suis celui qui est moi, et je suis celui qui agit comme quelqu'un d'autre. La séparation entre l'image miroir et la conscience interne de soi n'est jamais nette, et tout adulte est soumis au pouvoir de l'imago ou de la perception imaginaire de qui il est.
Juri Rupin, le 7 November, 1985
La photographie permet l'identification au "soi idéal" ou à l'imago par un mécanisme que l'on peut décrire ainsi : je sais que ce que je vois, c'est moi, et je sais que cela ne peut pas être moi parce que je regarde une photographie.
Juri Rupin, le 7 November, 1985
La dichotomie entre le moi intérieur et l'image sur la photo est vécue comme une tension psychologique fondamentale. En établissant des modèles visuels pour guider le comportement, le régime soviétique a formé ses propres citoyens en leur offrant l'illusion d'un avenir idéal et utopique.
Boris Mikhailov, Les superpositions, 1968—1981
Un rêve est quelque chose qu’on nous montre, ce n'est pas un regard. Dans un état de rêve, quelque chose nous entraîne; nous ne nous rendons pas compte que nous rêvons. Un rêve n'est pas une représentation, il est lié à l'inconscient. Comme dans un miroir, lorsque je suis photographié (ou photo-graphié), le sujet se construit lorsqu'il devient visible.
Oleg Malevany, L’incendie, 1977
En créant un rêve alternatif ou un mirage à travers la photographie et le montage, les photographes de Kharkiv ont découvert une capacité à réinitialiser la réalité où le sujet pouvait se reconstruire à travers une image de rêve.
Alexandr Suprun, Les cadeaux d’automne, 1988
Pour les photographes, se reconnaître dans les sujets soviétiques évoquait à la fois le plaisir et l'incertitude. Leur identification avec des personnes soviétiques ordinaires était en même temps une plaie ouverte et un écran protecteur.
Alexandr Suprun, l’Heure de pointe, 1977
Le photographe ou le spectateur pouvait adopter une image qui permettrait la séparation entre soi-même et l'autre soi - "se voir voir soi-même". Ces envolées photographiques, réalisées grâce à l'expérimentation technique et visuelle, ont permis de revoir le sujet soviétique. Mais surtout, ils ont permis aux photographes de se réexaminer en tant que personnes "outsiders" mais toujours liées au monde soviétique.